Allemagne

Verticale 2009-1990 : Ürziger Würzgarten Auslese by Weingut Karl Erbes


A l’occasion de mon billet sur les fêtes de Noël, je vous ai déjà parlé de ce domaine, qui se trouve en Mittelmosel, à Ürzig. Le domaine Karl Erbes (en allemand : Riesling-Weingut Karl Erbes), est une propriété familiale de 4ha fondée en 1967. Il est planté exclusivement de Riesling et la majorité de ses parcelles se trouvent sur le célèbre Ürziger Würzgarten. Le reste se trouve sur le Erdener Treppchen, que je constate un petit peu en dessous du ÜW.

Il y a quelques semaines, j’ai organisé une verticale du domaine, dont je vous livre ici les impressions. Tous ces vins sont des Auslese, des sélections qui correspondent à de  la vendange en surmaturité, où une partie des raisins est atteint de botrytis. Les taux de sucre résiduels sont compris entre 80 et 120g/l, on a donc affaire à des vins moelleux, mais du fait de l’acidité et de leur âge, l’équilibre n’est pas celui qu’on attendrait. Les 1990 goûtent par exemple plus demi-sec que réellement moelleux. Les étoiles, enfin, pratique très répandue en Mosel visaient ici à déterminer une qualité subjective croissante de l’Auslese, de * à ***. Depuis que Stefan Erbes est à la tête du domaine, la méthode a changé et les étoiles correspondent au pourcentage de raisin botrytisé. Plus il y a d’étoiles, plus le vin sera donc sucré et caractérisé par le botrytis, sans préjuger de la qualité relative des vins.

1- Ürziger Wurzgarten Auslese 2009

Millésime exceptionnel, c’est une évidence dans le verre. Le nez s’est déjà refermé, discret, mais donnant quand même de jolies notes de fruits, de fruits exotiques. En bouche la structure du vin est magnifique. Douce, délicate et profonde. Le sucre est bien présent, pas du tout fondu. Belle longueur. C’est un vin magnifique, très pur, maintenant, il faudra la patience de l’attendre une dizaine d’années… (ou vingt, plus sûrement) 77/100 ; 15 ++++

2- Ürziger Wurzgarten Auslese* 2003

Plus ouvert, sans doute à attendre encore quelques années. Il est très clairement marqué, pour mon nez, par les arômes terpéniques (pétrole), sans que ce soit négatif. Le fruit exotique est là, en bouche aussi avec une belle finale sur les amers, type airelle. C’est un joli vin, assez atypique, que j’aime, sans plus. 78/100 ; 5 +

3- Ürziger Wurzgarten Auslese** 2000

L’évolution est nette (peut-être un effet bouteille ?) avec une couleur d’un beau doré. C’est aussi le premier où le botrytis est aussi évident. Au nez, ce sont les épices, le miel, la mangue, le coing ou encore l’abricot sec. La bouche est plus fine qu’attendue, le sucre fondu bien qu’encore bien présent cache son jeu (il est ressenti largement en dessous de 2009 alors qu’il est au même niveau). C’est un beau vin, sans doute pas tout à fait à maturité mais déjà bien ouvert et très joli. 87/100 ; 5 +

4- Ürziger Wurzgarten Auslese* 1997

La magie des grands millésime s’opère… au plan de l’évolution. La couleur est proche du 2009, comme si le vin n’avait pas bougé. Il est d’ailleurs aromatiquement encre très fermé. Plus appréciable que 2009, il n’en reste pas moins à l’aube de sa vie. Le plus marquant dans ce vin, c’est sa longueur, pure et formidable, interminable. Magnifique mais parti pour 10 ans de plus… 84/100 ; 10 +++

5- Ürziger Wurzgarten Auslese** 1994

Plus ouvert que 1997, également très clair, nous remarquons avec les vins qui viennent (1997-1994-1990), un trait habituel des grands vins allemands (et des grands liquoreux en général). Les sucres se fondent et l’équilibre du vin se déplace. Autant sur 2009-2000, nous goûtions des vins plutôt axé foie gras-fromage-dessert, autant nous repassons ici dans des équilibres qui s’adapteront à une plus large gamme de plats, apéritif inclus. Ce 1994 est même, je trouve, supérieur après aération. Il est floral au nez avec juste ce qu’il faut d’évolution pétrolée, pour apporter en complexité. En bouche nous noterons la touche pâte d’amande, sublime et une longueur magnifique et fraîche. C’est plus accessible que 1997, mais ça n’est certainement pas en bout de course. 85/100 ; 10 ++

6- Ürziger Wurzgarten Auslese 1990

Le dernier de la série. D’un jaune très légèrement doré, il est vraiment clair. Ce vin ne trahit pas ses 20 ans passés et il sera même meilleur le deuxième jour. Plus encore que les autres, il est sur des dominantes florales. La maturité du vin est plus évidente au nez. En bouche, les sucres changent à peine l’équilibre. Le vin montre une très belle matière et une finale longue, d’une grande fraîcheur. C’est un vin mûr (au sens où il est prêt à boire) mais juste au début de son apogée. 90/100 ; 5 +

Voilà quel fut le contenu de cette verticale. Toutefois, je ne résiste pas à l’envie d’adjoindre les notes correspondant à deux autres Auslese du même domaine, dégustés respectivement une semaine avant et le lendemain.

7- Ürziger Würzgarten Auslese*** 1995

De toute la série d’Auslese, c’est le seul dont on puisse dire qu’il est ouvert. Et il est absolument grandiose. Le nez est une explosion de fruit : mangue, ananas, mandarine, orange. Puis viennent des notes florales avec de la rose, de la lavande, soulignée par de l’amande (pâte d’amande). La bouche est structurée tout en restant délicate. Le fruit domine encore mais c’est la finale qui impressionne : fraîche, minérale. Le vin ne laisse pas de sucre en bouche. Absolument magnifique. 95/100 , 5 +

8- Ürziger Würzgarten Auslese*** 1999

Couleur jaune paille, le nez pétrole un tout petit peu mais est dominé par le fruit exotique et l’ananas. En bouche, la matière est impressionnante et c’est très, très, très long. Enormément de fraîcheur. Un vin de haut niveau mais encore beaucoup trop jeune ! 87/100 ; 10 ++

A travers cette petite verticale, on découvre des vins très homogènes et, sans aucun doute, la marque d’un terroir d’exception. Il apparaît alors une autre caractéristique de ces grands vins allemands, leur cycle de vie. Les Auslese passent pas une phase de fermeture de plus ou moins 10-15 ans durant laquelle leur fruit va être complètement occulté par l’acidité. C’est exactement ce qui nous est apparu sur la plupart des vins, où même les vins des années 1990 ont besoin de temps pour retrouver leur expression. Quand cette ouverture aromatique revient, c’est alors l’émotion absolue, celle que nous avons eu sur 1995.

Mosel allemande en péril / The German Mosel region threatened


Pour commencer la semaine, un article sur une question d’actualité brûlante, en français et en anglais.

Today, I will tell you a bit about a very big issue in the Mosel region in Germany. But first, in French.

Je trouve que cette question vraiment urgente manque tragiquement de visibilité donc je me permets de reprendre cette actualité importante : il est temps de faire le plus de bruit possible autour de ce projet.

Pour remettre les choses dans son contexte : une autoroute est en train d’être construite en plein milieu de la Mosel allemande. Très exactement au dessus de Bernkastel et Graach. Enfin, un pont, j’ai bien dit un pont, va passer au dessus de Ürzig. Pour ceux qui ne connaissent pas la région, c’est comme si on faisait passer une autoroute au dessus de Gevrey-Chamertin et qu’on construise un pont pour passer au dessus de Morey-Saint-Denis et Chambolle-Musigny.

Outre la catastrophe esthétique et écologique, on est quand même dans une des plus belles régions viticoles du monde et ce pont en plus d’être affreux est vraiment construit à un des pires endroits, c’est un massacre viticole (allez voir où passe l’autoroute…). En bref, ce pont est un vestige des années 60-70, ressorti des cartons pour des raisons un peu obscures. Il n’est pas rentable (dernier ratio bénéfice/coût estimé à 1,8/1) et à l’heure actuelle ne servira pas à grand chose. Le préjudice est donc énorme (pas que d’un point de vue viticole) et le gain minime.

En tant qu’étrangers, nous ne pouvons pas vraiment influer sur la décision finale, seuls les Allemands y peuvent quelque chose, mais en relayant l’information, toujours, encore, on donne une visibilité au problème. Ce sont les pressions internationales (notamment Hugh Johnson, Decanter, Janis Robinson…) qui ont permis de mettre en lumière, sur la scène politique, ce projet kafkaïen.

Il est urgent de relayer l’information, partout, tous les jours, car ce projet est en marche. Le pont devrait être mis en construction à la fin 2011. Mais jusqu’en été, il y a de l’espoir, des élections, des actions…

Je vous conseille d’aller visiter ces sites :

Le site officiel (en allemand) où Les vidéos sont éloquentes et d’une mauvaise foi redoutable… et c’est un très bon exemple de site institutionnel 🙂

Le site de défense de la Mosel (en anglais) : Plein d’infos avec une revue de presse complète, existe en allemand aussi.

Le blog de suivi de l’actualité (en anglais) : Avec en particulier le dernier article de Hugh Johnson, sans doute la personnalité du monde du vin la plus active contre le projet.

 

Là où passera le pont / The exact location where the bridge will be build...

 

I think that this is a very important question. And it is high time to relay the information.

A highway and a bridge are being build right in the middle of the Mosel valley in Germany. You could compare that to building a highway in the middle of Burgundy!

In addition to being an environmental and aesthetic catastrophe, it will be a disaster for the vineyard (just check where this highway runs). This highway is a remain of an old project that dates back to the 70’s which is nowadays useless and worthless (cost/benefit ratio is estimated to 1/1,8!!). Therefore the stakes are very high for very low profits expected. For example, this will kill the touristic value of the region!

As foreigners, we cannot do much about the decision which will be the Germans’. However we can help focusing the attention on this problem and thus help them fight against this kafkian project. Today is time to act as the bridge is planned to be build in the second part of 2011. So please feel free to relay the information everywhere, everyday until it will be dismissed!

There is still hope!

I strongly advise you to visit these sites:

The official site (in German)

The protest site (in English and German)

The news blog (in English) where you will find the latest article by Hugh Johnson, a must-read!

 

Une région : Mittelmosel en Allemagne, pays du Riesling


De retour, donc, après une grosse semaine d’absence. Je vous ai livré quelques conclusions sur un très joli Côte du Rhône, mais en fait assez éloigné de ce que j’ai pu goûté durant ce déplacement.

Cette semaine a donc été l’occasion de parcourir une région magnifique et magique, la Mittelmosel en Allemagne. Pour faire simple, on parlera de Mosel mais le terme est imprécis car cette rivière coule sur plusieurs dizaines de kilomètres, définissant ainsi différentes zones viticoles.

C’est par Bernkastel que j’ai commencé et j’ai visité à partir de là Piesport (en aval), Graach an der Mosel (juste à côté) et Ürzig (en amont). Zone qui ne constitue qu’une petite partie de la région qui porte le nom de Mosel, celle-ci s’étendant des frontières française, luxembourgeoise et belge jusque à Koblenz.

La première chose qu’on remarque dans ce merveilleux endroit, c’est le paysage magnifique. Il est vrai que les régions viticoles sont rarement laides (quoique… le bordelais n’est vraiment pas folichon :)), mais elles sont rarement aussi belles. Je n’ai malheureusement pas eu le loisir de me promener sur les coteaux et dans les vignes du fait de défaillance des différents temps : relativement mauvais pour celui qu’il fait et trop court pour celui qui passe. Les photos parlant d’elles-même, j’illustre.

De même, l’architecture du coin est vraiment intéressante avec ses murs en ardoise noire, ses maisons à colombages et autres beffrois gothiques. De tout point de vue, c’est donc une étape hautement recommandable. Là aussi, j’illustre.

Ce passage éclair dans la région m’a permis de découvrir des vins tout à fait à l’image du paysage, absolument superbes. Ici, le vin est fait quasi exclusivement à partir du Riesling. Mais outre les différents terroirs, le travail porte aussi sur différents degrés de maturité et différents taux de sucres résiduels dans les vins finis. Certes au bout du compte, avec le système qui plus est d’homologation de lots différents d’un même vin, il devient difficile de s’y retrouver… mais c’est bien pour ça qu’on est là 😉

Les vins, donc, comment sont-ils fait ? Les rendements sont assez variables mais plutôt élevés par rapport à nos régions. Ceci dit, il est difficile de parler de rendement global quand on récolte ici à maturité normale puis à différents degrés allant jusque parfois au TBA, plus souvent BA (Beerenauslese). Cela correspond à nos Sélections de Grain Noble alsaciennes. Les vinifications sont réalisées ou bien en cuve inox, ou bien dans de vieux fûts traditionnels de 1 000 litres qui sont souvent âgés de plus de vingt ans. La particularité des vins de Mosel va apparaître ici. En cours de vinification, il va être décidé d’interrompre les fermentations et laisser une certaine quantité de sucres résiduels. Cette quantité va d’une vingtaine de grammes pour un « feinherb » à 80g ou plus pour un Auslese, 120-150 pour un BA…

Mais il ne faut pas penser les vins de Mosel en terme de sucres résiduels car ces vins ont un profil très souvent sec ! Mieux, avec le vieillissement, les Spätlese ou Auslese qui se situent souvent entre 50 et 80g de sucres résiduels vont progressivement fondre leurs sucres. Il est vrai que le marché demandant des vins secs, les producteurs commencent à proposer des vins de ce type. Toutefois, un Riesling Feinherb comme le Schieferstern Riesling Feinherb 2008 de Trossen R&R, ou un Kabinett comme Bernkasteler Badstube Kabinett 2007 de Sofia Thanisch (Wwe Dr. H. Thanisch – Erben Thanisch), qui sont des vins entre 15 et 30g/l de SR, goûtent sec ou du moins appellent des accords de vins secs.

Plus généralement, en deçà de 50g/l de SR, la sensation moelleuse est à peine perceptible. Au delà, elle le sera jusque à 10 ans de vieillissement et s’estompera au delà. J’ai d’ailleurs goûté un Auslese de 1994 dans lequel j’aurai mis une vingtaine de grammes de SR et où il y en avait en réalité 75g/l… (et pourtant, Dieu sait que je suis habitué aux SR qui se cachent, notamment grâce à l’expérience des vins autrichiens où un palais français ne décèle habituellement qu’un tiers à la moitié du taux réel de sucre).

Avec ces vins, il faut donc repenser notre référentiel sucre et ceci est dû à la minéralité et à l’acidité stupéfiante de ces vins. Les versions sèches réalisées à l’heure actuelle sont intéressantes également, mais je trouve que l’on perd beaucoup d’originalité et de richesse par rapport aux versions traditionnelles avec SR qui s’appellent là-bas « fruitées ».

Leur autre particularité est leur incroyable diversité. A l’image de la Bourgogne en France, ces vins, pourtant tous issus du cépage Riesling, ont des profils radicalement différents. Au point que l’on pourrait dire qu’ils ne proviennent pas du même raisin ! La différence est déjà flagrante quand on compare un Riesling standard de Piesport, de Bernkastel, de Graach et d’Ürzig. Sur les Kabinett, Spätlese et Auslese, cela devient encore plus flagrant.

Il est donc clair que cette région est à découvrir d’urgence… d’autant plus qu’un projet absolument ubuesque d’autoroute et de viaduc risque de, au mieux, détruire le beau paysage de la région, et au pire, détruire l’essence même de ce terroir. To be continued…

Je reviendrai sur la région dans de prochains billet avec des exemples de vins dégustés.