Certains vins font partie d’une catégorie bien particulière, celle des vins qui font polémique. Nombre de ses représentants se trouvent dans les vignobles prestigieux mais celui qui nous occupe aujourd’hui se trouve dans un vignoble plus modeste, en Languedoc.
Le Mas Daumas Gassac est sans doute un des vins les plus connus de la région, principalement du fait de la personnalité hors norme de son fondateur. Aimé Guibert, c’est son nom, a été en particulier porté à l’écran dans toute la démesure de sa verve par le récent film Mondovino. Personnage haut en couleur, son discours est l’archétype de « l’ubris » (hybris en transcription correcte) que redoutaient tant les grecs. C’est un homme de charme et de charisme, comme le vignoble en compte tant, dont on aimera ou détestera ce discours autant imagé et rhétorique que peu argumenté.
Son idée d’origine a été de penser pouvoir faire un grand vin en Languedoc, à l’image des Grands Crus de Bordeaux. L’histoire lui donna raison, du moins au départ. Il planta principalement du Cabernet Sauvignon, interdit à l’époque en AOC, qu’il compléta d’une collection de cépages aussi pittoresque qu’insignifiante (ajouter 20 cépages à hauteur de 1% chacun n’a aucun sens). Il fut sans doute l’un des premiers à ouvrir la voie des Vin de Pays « Haute Couture » en Languedoc, un segment qui depuis connaît un développement très important. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, nombre domaines de référence produisent tout ou partie (principalement les blancs) hors du système d’AOC.
La remise en question du statut iconique de ce vin naît dans le courant des années 1990 et surtout avec les années 2000. Daumas Gassac, alors toujours porté aux nues par la critique, ne semble plus aussi magique en dégustation. D’aucuns avancèrent l’habituel argument du vieillissement : il n’est pas possible de juger Daumas, grand vin de garde, dans sa jeunesse. Nous avons le recul maintenant sur les années 1990. Les vins ne se sont pour la plupart pas révélés. C’est avec émotion que je me rappelle les 1985, 1988, 1992 (blanc)… et quand je goûte en rouge les déjà agonisants 2002, les 2004 plats, les 2007 déviés, le doute n’est pas permis. En blanc la problématique est autre, on se trouve surtout face à des vins désarmants de simplicité. Aux dernières dégustations, 2008 est correct, variétal et de fait, d’un rapport qualité prix désastreux. 2007 insignifiant quand 2006 présente déjà un profil de vin oxydé (noix, orange amère, cire).
A l’époque des débuts et des années 1980, Mas Daumas Gassac Rouge, c’était 10 000 à 20 000 bouteilles, la première mise du blanc, 2 000 bouteilles en 1986. Maintenant, le Rouge est annoncé à 140 000 bouteilles par millésime et le Blanc à 50 000. Impossible de s’empêcher de penser que l’on tient là une des raisons de la baisse qualitative. Une autre étant sans doute la retraite progressive de Aimé Guibert et finalement le début des activités connexes de négoce.
Contemplant cette débâcle, c’est toujours avec une attention redoublée et avec l’esprit le plus ouvert possible que j’essaye d’aborder les flacons de ce domaine. Cette semaine, j’ai décidé de regoûter un Mas de Daumas Gassac Rouge 2003, en compagnie de palais neutres et profanes, pour voir où en était ce millésime sur lequel je n’avais pas de référence. A priori, 2003 est un millésime de bonne qualité en Languedoc, beaucoup moins marqué par la canicule que dans les autres régions de France (habitués qu’ils sont à la chaleur et la sécheresse). Les 2003 languedociens goûtent d’ailleurs globalement très bien en ce moment. Ils sont souvent bien ouverts, encore sur le fruit mais avec un début d’évolution… pratiquement parfaits pour une dégustation hédoniste.
Daumas Gassac Rouge 2003 n’est absolument pas marqué par la chaleur du millésime. Dès l’ouverture, il présente un profil aromatique équilibré. Les fruits noirs mûrs (comme le cassis) sont enveloppés d’une belle trame torréfiée (plutôt chocolat avec une touche de café), signe d’un élevage bien dosé et bien intégré. Il fait par ailleurs preuve de profondeur et de structure. C’est un nez qui vous tient, solide et relativement complexe. En bouche, l’équilibre est indéniable, avec de nouveau un beau fruit, fondu, et un tout début d’évolution avec l’apparition d’arômes plus sous bois, humus. Il manque un tout petit peu de matière. La longueur est bonne, intense et moyennement persistante. Le Cabernet Sauvignon est pour moi flagrant (un peu trop) dans ce verre et je trouve que ce vin serait à comparer à des Bordeaux, en aveugle. Dégusté dès l’ouverture, c’est là qu’il s’est le mieux présenté, l’oxygénation ne lui a rien apporté de bon. Vin de gastronomie, il ne convient pas à une dégustation plaisir de fin d’après-midi et bénéficiera sans doute de deux ou trois ans de cave supplémentaire pour affiner ses parfums.
Un beau vin, donc, ce qui est un grand plaisir et une bonne surprise. Grand, sans doute pas, car il lui manque quand même un peu d’étoffe et de complexité. Il y a dans cette bouteille une indéniable architecture mais elle reste fonctionnelle et simple. Ce serait un vin intéressant à 15-20€, hélas, il en coûtait déjà 35 départ cave.
Ma note : 81/100 ; 5 +
Un beau vin, plombé par son prix trop élevé. A conserver encore 2-3 ans et à ne carafer sous aucun prétexte. Il accompagnera de plats moyennement puissants, comme le porc ou, pourquoi pas, certaines volailles. Sans doute à l’aise sur le boeuf, il faudra prêter attention à ne pas l’écraser sous des sauces ou des viandes trop parfumées.