notation

Les meilleurs vins sont rarement les meilleurs.


Les nombreux déplacements que j’ai pu faire au cours du mois de juillet et les non moins nombreuses dégustations m’ont donné envie de faire un petit bilan sur deux constatations récurrentes. Une fois n’est pas coutume, ruons dans les brancards. Je tiens à préciser que j’ai un peu grossi le trait, les réactions seront, je pense inévitable et je préciserai à l’occasion en commentaire.

1- La corrélation prix/notoriété – qualité

Tout les amateurs rêvent de certains (grands) vins. Du Chambertin pour certains, de Château Lafite Rothschild pour d’autres, de Dom Pérignon… ces vins censés nous emporter dans une autre dimension du vin, dans la contemplation… ces vins inaccessibles, ou au mieux déraisonnable. Qu’en est-t-il donc vraiment ? Et bien c’est peu dire qu’il sont rarement au niveau où on les attends. Si on excepte quelques petits producteurs (toujours ou presque des artisans), ces vins sont souvent frappants de normalité : Dom Pérignon n’est pas toujours exceptionnel, Mouton Rothschild 1981 est quelconque, Gruaud-Laroze 2000 bon mais sans plus… C’est une bonne nouvelle qui nous évitera de dépenser 600€ sur une bouteille.

Mais sans aller traiter des vins mythiques, les simples Champagne sont mes plus fréquents objets de déception. Sans parler de simple mauvais rapport qualité prix (ce qui est le cas dans 95% des bouteilles), je peux compter sur les doigts d’une main les Champagnes qui m’ont ravi cette année. Krug Grande Cuvée (couramment dans les 130€), Ruinart Millésimé 1995 en Magnum (introuvable ou presque, dans les 150€), un Jacquesson 1997 (à l’heure actuelle, autour de 100-120€) et puis c’est à peu près tout. Concrètement, cela signifie qu’il est difficile voire presque impossible d’atteindre l’orgasme gustatif à moins de 100€. Je ne dise pas totalement impossible car, en réalité, ceux qui connaissent Terre de Vertus de Larmandier-Bernier (environ 30€) savent que ces grands Champagnes raisonnables existent quand même. Mais au nombre des Champagnes indignes de leur rang, cette année, je citerai deux 734 de Jacquesson, alors que j’ai magnifiquement goûté ce vin l’an dernier… ce qui soulève un autre problème… ; Taittinger Les Folies de la Marquetterie, juste passable ; Henriot Cuvée des Enchantelleurs 1990 et Millésimé 1996 corrects mais sans grande émotion ; Spécial Cuvée de Bollinger, bien mais faible aromatiquement ; Drappier Brut Nature, de très bonne structure mais irrémédiablement muet… la liste est longue. Or tous ces vins sortent entre 35 et 100€.

Mon interrogation alors est le pourquoi des commentaires dithyrambiques persistants de beaucoup de critiques ayant pignon sur rue, sur ces vins et particulièrement sur les Champagnes.

Mais ce n’est pas que le cas de ces derniers, je me rappelle des trop rares émotions du dernier salon français de prestige (où l’accès était limités aux domaines déjà triés) auquel j’ai assisté. 300 vins goûtés et une petite poignée de vins d’exception, dont les 2/3 italiens !

La première conclusion que je vous livre cher lecteur : sur un an, la majorité de mes grandes émotions ont eu lieu sur des vins entre 15 et 40€ (départ cave).

2- La surévaluation des Champagnes et des Bordeaux

Lisez-donc le dernier Bettane et Desseauve, section « Champagne » ou le Guide Vert de la RVF à la même rubrique. Vous y trouverez la plus grande concentration de notes stratosphérique (17-20) avec la page Bordeaux. Même la Bourgogne n’arrive pas à la cheville de ces deux régions (alors que la plupart des cuvées bourguignonnes relèvent de l’orfèvrerie, avec quelques milliers de bouteilles issues d’un terroir isolé depuis des centaines d’années, quand l’unité de mesure des Bordeaux-Champagne est la dizaine de milliers de bouteilles, voire la centaine de milliers…).

L’évidence est pourtant là, l’essentiel de ces grands Champagnes ne vaut pas le détour et de vaut qu’une fraction de son prix et de ses évaluations. Je m’efforce en permanence de noter les Champagnes de la même façon que les vins « normaux » mais l’exercice est dur et frustrant car aucun vin (ou alors de très rares) atteignent le niveau des très bons blancs et, comme je le disais, à des prix 2, 5, jusqu’à 10 fois supérieurs. Car oui, il existe des Champagnes fabuleux, S de Salon 1995 par exemple, que je note effectivement comme l’un des tous meilleurs vins qui m’ait été donné de boire, au niveau d’un Bâtard-Montrachet 2004 de Marc Morey (120€, 220€ en restauration), ou d’un Silex 2006 de Dagueneau (80€, 130€ en restauration), ou encore d’un Grande Côte 1996 de François Cotat (25€, ?), mais pour la petite histoire, il vous en coûtera 200€, ou 500€ en restauration pour goûter ce vin… et vous donnerais-je une autre référence champenoise à ce niveau ? non ! Les autres que j’ai pu boire ou déguster était « juste » très bon : Jacquesson 1985, Dom Pérignon Rosé 1996, Winston Churchill 1998, Krug Grande Cuvée. Il me reste beaucoup à découvrir, évidemment, mais l’idée est là. Très très rares sont les cuvées à 30-50€ qui apportent une réelle émotion. Et pourtant, à ce prix, vous pouvez toucher l’essentiel des plus grands vins français et étranger dans toutes les autres régions… sauf Bordeaux et Bourgogne (mais c’est un autre problème et c’est surtout vrai de de la Côte de Nuits)…

Où est donc le problème ? Comment peut-on effrontément noter 18,5/20 Les Folies de la Marquetterie de Taittinger, 17/20 le Brut Classic de Deutz, 17,5/20 le Spécial Cuvée de Bollinger ? (pour ne citer que des vins qui à l’évidence valent plutôt 13-14/20).

Est-ce une question de relativité de la notation ? je ne crois pas que ce soit la principale explication mais il est vrai que Bettane précise que 18 en Champagne n’est pas 18 en Provence… cependant, je ne pense pas que l’échelle soit bien différente de la Bourgogne où la Romanée 2008 du Comte Ligier-Belair touche 18 et Le Chambertin 2008 de Armand Rousseau 18,5. Pourtant, ce sont là des vins d’un tout autre niveau ! Peut-être aussi touche-t-on aussi aux limites de la notation ?

Est-ce mon goût personnel ? c’est vrai que je ne suis pas « fan » des Champagnes mais je ne suis pas non plus « fan » des Bordeaux et ça ne m’a jamais empêché d’apprécier la qualité superlative de certains (Haut-Brion 1976 par exemple, Cheval Blanc 2003 ou Château d’Issan 2008 pour citer des extrêmes).-

Est-ce un préjugé en faveur des Champagnes et Bordeaux ? cela est certain. Ces vins ont une image tellement forte que la perception est faussée. Il faut vraiment beaucoup de distanciation pour juger objectivement d’un Champagne. La faute à l’imaginaire associé au Champagne : le Champagne, c’est la fête, la réjouissance, la célébration. C’est éclatant, brillant, joyeux. Le simple fait d’avoir un Champagne sur table change notre référentiel de perception. Et c’est une bonne chose car nous demandons exactement ça au vin. Mais c’en est une mauvaise aussi car cette réjouissance que l’on ne touche qu’avec le Champagne est souvent interdite à un autre type de vin. Ceci étant, un spécialiste comme Bettane serait-il incapable de se détacher de cet imaginaire ? j’en doute.

Est-ce l’effet de la puissance marketing ? Là, je suis plus dubitatif. Il est évident qu’en France, la Champagne est Bordeaux sont les régions avec la plus importante force de frappe commerciale (Par exemple, se rappeler que les bien médiocres Moët&Chandon et Veuve Cliquot sont propriétés de LVMH). Ce sont aussi des icônes absolument nécessaires à tout professionnel du vin. Pour ma part, j’ai beau ne pas aimer ces vins, j’ai le devoir de les connaître car on me les demande et on m’en parle quotidiennement. Une déconcertante évidence est que juger un Champagne pour ce qu’il est, c’est-à-dire souvent un vin moyen, est plus difficile que dans une autre région. Quel journaliste, en France, à l’heure actuelle pourrait se permettre de ne plus goûter ou de ne plus être soutenu par ces régions ? Il est certain que le lien économique n’est pas de cause à effet et l’on peut conserver son indépendance mais, dans les faits, la position est difficile à tenir. C’est d’autant plus vrai quand l’objet de la critique a moins besoin de nous que nous de lui. Je me souviens de mes débuts de critique (en cinéma !). Gérer les copies presses était un vrai problème car il était difficile de massacrer un film sans se mettre l’éditeur à dos. Chose gênante quand il n’y a qu’une poignée d’intervenants dans le milieu. J’en étais venu à décider d’une règle tacite qui consistait à tâcher de publier en même temps plusieurs critiques afin d’amortir les effets d’une critique négative. Entorse indéniable au principe d’indépendance du journaliste… mais hélas un moindre mal qui permit de signaler des navets. Enfin, je dirais que nous pouvons trouver dans la tradition française de copinage, un facteur aggravant.

Pourtant ! Pourtant il y a une solution à tout ça, une solution dont parle justement récemment M Mauss du GJE, qui devrait PARTICULIEREMENT être appliquée pour les grands domaines, et grands vins : la dégustation à l’aveugle. Or ne nous y trompons pas, AUCUN grand vin célèbre n’est dégusté de la sorte dans les guides français (ni par Robert Parker, d’ailleurs). Dans son guide, Bettane annonce par exemple, avec une habile et feinte naïveté, que seuls les domaine 5 BD (ie, les tous meilleurs) sont dégustés au Château (donc pas à l’aveugle et dans des conditions différentes, type salon XIXème, verrerie spécifique, décantage… sélection des échantillons??;)). Or ce sont précisément ces vins qui devraient être dégustés à l’aveugle ! Aucun doute sur la capacité de beaucoup à maintenir leur rang : Cotat, Dagueneau, Coche-Dury, Armand-Rousseau. Par contre, on aurait beaucoup de surprises sur les icônes bordelaises et champenoises.

Rendez-vous compte du désordre : La Cuvée des Enchantelleurs 1996 de Henriot à 14-15/20 (peu expressif, structure intéressante, persistance limitée), La Grande Année 1999 de Bollinger sortie du guide (ne tient pas l’ouverture, déséquilibré, court) ou Mouton-Rothschild 2006 à 15/20…

Soyons raisonnables, qui vous prendra au sérieux si vous dites que le meilleur vin dégusté récemment est un Ürziger Würzgarten Auslese** 1994 de Karl Erbes (Mosel, Ürzig) à 11€ la bouteille ? moins classe que Krug Grande Cuvée et pourtant d’une toute autre dimension !

Plus tard, je publierai une autre partie de ce point de vue… d’ici là, réjouissez-vous d’une bouteille de Bernkasteler Badstube Riesling Kabinett 2007 de Sofia Thanisch difficile à trouver en France mais tellement beau !

Ma Notation des vins


Je pense que la première chose que je me dois de faire est de vous expliquer, puisque nous serons amenés à discuter de l’évaluation des vins, la manière dont je note un vin.

Outre les descriptions de dégustations, qui sont l’essence même de la prise de notes, il me semble important et utile d’attribuer une note au vin considéré. Plus tard, nous aurons sans doute l’occasion de discuter de la pertinence et de l’intérêt de la note ; pour le moment, je dirais juste que c’est un moyen d’aborder vite et synthétiquement un vin, un événement ou un millésime.

Ma notation tâche de rendre compte de deux aspects du vin : sa qualité à l’instant t et son avenir. L’avenir est incertain, c’est une lapalissade, donc ma notation du potentiel du vin est plus floue. Quant à la partie principale de la note, sur 100, elle rend compte de l’évaluation du vin au moment de la dégustation et à ce moment seul. Si j’attribue un 87/100, cela signifie donc que ce vin me semble offrir un plaisir de 87/100 en l’état et sans considérer ce qu’il donnera dans cinq ou dix ans (plus tard, je vous donnerai des exemples).

A l'issue d'une dégustation arrosée, un verre où l'on reconnaîtra un Chianti Classico du Castello della Panaretta.

Reprenons maintenant ces notes par le menu :

L’Evaluation : elle est donnée sur 100. Mais contrairement aux notations habituelles sur 100 où finalement les vins sont notés entre 80 et 100, je considère qu’un vin est buvable à partir de 40. Un vin à 60 est déjà un bon vin, propre à croiser votre chemin et exciter vos papilles. Cette notation sur 100 est en fait obtenue par addition de 5 sous-notes sur 20. J’évalue à ce niveau, d’abord au nez puis ensuite en bouche, l’intensité des arômes, d’une part, et leur qualité (complexité, finesse, élégance), d’autre part… si vous me suivez, nous avons donc 4 notes sur 20. La cinquième note me permet finalement d’intégrer un aspect important  mais difficile à catégoriser de la dégustation, je l’appelle la « recommandabilité ». Je désigne pas là une sorte de méta-note, qui quantifie mon désir de partager le vin avec vous, le degré de caution que je lui apporte… difficile à expliquer mais révélation ô combien limpide quand j’ai, un jour par pur hasard, découvert ce paramètre. A ce moment, j’ai soudainement trouvé un mode de notation qui rendait effectivement compte de mes impressions de dégustation, quand les seuls paramètres purement scientifique me semblait tomber court…

Au bilan, pour vous faciliter la lecture, on arrive donc à une échelle sur 100 que l’on peut synthétiser de la sorte et vous pouvez remarquer que j’associe pour facilité un code couleur hautement original :

< 30/100 : vin à défaut, mauvais, mal fait.

de 30/100 à 39/100 : vin quelconque, pas mauvais mais sans intérêt (on préférera un verre d’eau).

de 40/100 à 59/100 : ensemble  des vins corrects, de tous les jours (parce qu’on ne peut vraiment pas boire de l’eau tout le temps).

de 60/100 à 69/100 : bon vin, on commence à se faire plaisir, à trouver quelque chose de pas tout à fait inintéressant dans le verre.

de 70/100 à 79/100 : très bon vin. Là, on rentre dans le sérieux. Du beau, du vin qui raconte quelque chose. Couramment, c’est le type de note que je donnerai à un grand vin dans sa jeunesse (exemple les Cotats de François, sortent souvent à ce niveau).

de 80/100 à 89/100 : grand vin, on entre dans la catégorie des vins qui vous marquent, des vins qui vous mettent  tout un roman sous nez et sur la langue.

de 90/100 à 99/100 : vin exceptionnel. C’est un peu comme le final du Requiem de Duruflé (pardonnez-moi la référence… mais on trouve la jouissance esthétique indépendamment du contexte), un phrasé, une émotion, une caresse sublime… bref… c’est rare, c’est magique et c’est pour ça qu’on aime le vin.

100/100 : l’émotion absolue ! (Pour le moment un seul vin a décroché ce graal : un Château Gilette 1967)

(Les esprits cartésiens se diront que si c’est vert, c’est bon à acheter… et je ne vous dirai pas que c’est une mauvaise synthèse !)

L’Avenir, le potentiel : il est naturellement à comprendre (au sens étymologique, même) avec la note d’évaluation. Elle se divise en deux. D’abord un chiffre : 0, 5, 10, 15 et une échelle : – –, –, 0, +, ++, +++, ++++.

Le chiffre donne le nombre d’années à partir de laquelle j’estime que le potentiel du vin sera atteint, en gros, le moment où il sera possible de boire sans se perdre en conjectures. 0 veut dire que le vin ne doit pas être attendu, 5 signifie qu’il sera bon d’ici environ 5 ans, 10 correspond à un vin qu’il faudra encore attendre 10 ans, 15 veut dire qu’il faudra vraiment attendre longtemps.

L’échelle se décrypte de la sorte : – –, le vin est déjà mort ; –, le vin est en phase descendante ; 0, le vin ne gagnera rien à attendre ; +, le vin va gagner environ 5 points par rapport à son évaluation d’origine ; ++, le vin va gagner environ 10 points ; +++, il va gagner 15 points ; et enfin ++++, il va gagner plus de 20 points.

Exercice maintenant que ne renierait pas votre actuel ou lointain professeur d’arithmétique :

77/100 ; 15 ++++ : Dans environ 15 ans (vous comprendrez que plus je repousse l’échéance, moins c’est précis), disons dans 10 à 20 ans, le vin aura gagné plus de 20 points (il se sera ouvert, aura développé ses arômes… essayer de prévoir cette évolution est difficile, mais l’expérience d’autres millésimes permet de faire ces projections), donc en somme, dans une quinzaine d’année, j’estime que je noterai ce vin aux alentours 98/100 et même probablement 100/100. Là encore, nous reviendrons sur ces problématiques de notation, car on pourra déduire beaucoup de chose de ces petits chiffres.

Nous voici donc parés pour l’aventure, et vous saurez désormais de quoi je parle quand je m’attellerai aux notes de dégustation ou à mes impressions générales lors des visites annuelles des salons, des vignerons…