Languedoc

La grande Verticale de l’Infidèle du Mas Cal Demoura, de 1998 à 2010


Une fois n’est pas coutume, je suis Parisien pour 48h. L’occasion de mettre en place une dégustation qui me fait de l’oeil depuis 6 mois et dont je vais ici partager les conclusions avec vous.

Il s’agit d’une verticale quasi complète du Mas Cal Demoura, cuvée l’Infidèle. L’Infidèle est un rouge d’assemblage Syrah, Grenache, Mourvèdre, Carignan et Cinsaut, dont vous trouverez les détails ici.  Notre dégustation comprend les millésimes 1998, 2000, 2001, 2003, 2004, 2005, 2006, 2007, 2008, 2009 et 2010. Tous les vins ont été simplement ouverts et vérifiés 4 à 6h avant la dégustation, 2004 étant très fermé a été carafé. Si vous voulez optimiser l’expressivité des vins, 2010, 2009, 2007 et 2006 pourraient passer 1 à 3h en décanteur (ou ouverture 12 à 18h avant dégustation). Le service de ces vins s’est fait du plus jeune au plus vieux, ce qui est un ordre que j’ai toujours expérimenté comme bon. Plusieurs raisons justifient cette approche, le fait est que je n’ai jamais rencontré de cas qui contredise cet ordre.

Vincent Goumard

Vincent Goumard

Je vous donne déjà quelques éléments. Tous ces vins sont ouvrables et buvables en ce moment, aucun n’est irrémédiablement fermé. Aucun n’est trop vieux à l’exception de 2000, sur le déclin depuis déjà plusieurs années. Aucun millésime récent (depuis 2004) n’a entamé sa phase descendante. Vous remarquerez à la lecture un virage important dans le style du vin en 2003, date de la reprise du domaine par Vincent Goumard, dont la progression est constante depuis lors. Une conclusion préliminaire est que vous pouvez acheter ces vins chaque année sans vous soucier de la qualité : aucun raté en quasi dix ans.

Voici donc la série.

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L’Infidèle 2010

Au départ le nez présente une légère note de réduction. Puis il développe assez rapidement sur le poivre et un fruité intense, noir et sucré. Cassis, mûre. Une discrète note torréfiée, type cacao apparaît. Une des rares fois où je ressens l’élevage sur cette cuvée, mais c’est tellement léger que dans quelques années, cette note viendra juste ajouter à la complexité du vin. Voilà un nez d’une très grande élégance, avec une structure qui impressionne. En bouche, une attaque nette et large en même temps, Il y a beaucoup de matière, le vin est très rond en milieu de palais, sans aucun creu. Plein, mûr, puissant, il présente un équilibre impeccable, avec une finale superbe et très longue. C’est véritablement un grand vin et, à mon avis, le meilleur réalisé jusqu’à présent. Il est encore jeune et demande à s’intégrer encore deux ou trois ans pour s’exprimer plus pleinement. 89/100 ; 5 ++ (il atteindra 100/100, j’en suis certain).

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L’Infidèle 2009

Le premier nez est nettement dominé par la Syrah. Il présente un poivré typique (très rhodanien) puis un fruit mûr, noir, qui le replace plus dans un profil aromatique sudiste. L’équilibre du nez est aussi remarquable que frais. L’attaque est très précise, le vin défile en bouche avec une grande justesse. Il est suave, plus intégré. La fraîcheur est assez incroyable vu la chaleur du millésime. Equilibre irréprochable. Une réussite 90/100 ; 5 +.

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L’Infidèle 2008

Cette fois, c’est le Mourvèdre qui domine. Nez plus type « confiture » au sens où une certaine douceur semblable à l’odeur de la confiture de fraise chaude vient au nez. Un peu de pruneau également (pas négatif), de la garrigue et des herbes aromatiques. C’est un nez plus doux, moins aigu que les deux précédents mais avec un charme incroyable. Ce vin me donne une impression beaucoup plus féminine, sensuelle. La chaleur douce d’une soirée d’été dans un jardin. La bouche est sans aspérité, les tanins absents, totalement fondus. La sucrosité légère (que j’avais déjà perçue il y a deux ans) est là, elle souligne le charme de ce vin. Il est langoureux et a la beauté douce d’un dégradé noir et blanc. Dans son style, c’est un vin universel, il est extrêmement facile à apprécier. Le potentiel est bon et il a peu évolué ces dernières années. Il manque un tout petit peu de complexité par rapport aux deux précédents et d’un petit peu de structure, de netteté (mais on touche vraiment ici au détail). Ca n’en reste pas moins un superbe vin. 88/100 ; 5 +.

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L’Infidèle 2007

Ici nous trouvons le premier vin dont on peut dire qu’il a intégré toutes ses composantes. Rien ne prend le dessus, aucun cépage ne s’affirme plus que l’autre. Il part d’emblée sur un fruit frais avec fraise, framboise et cassis, très dense. A l’ouverture, des notes de ces mêmes fruits, plus mûrs et de mûre apparaissent et complètent l’ensemble. Les herbes aromatiques viennent tendre l’ensemble et les épices. Le nez est très complexe et très profond. L’image qui me vient à ce moment est celle du Duomo de Florence et sa marqueterie de marbre immense et brillante. En bouche, la constitution de ce vin s’affirme encore plus. L’attaque est large et pure, mais dans un tout autre style que 2010. Alors que 2010 est en puissance, agité et impétueux, jeune ; 2007 est lui posé, homogène, d’une beauté classique.Le milieu de bouche prolonge le développement de l’harmonie. Qu’ajouter ? Belle densité, beaucoup de longueur, intense et sur le fruit. Le tout est vraiment très structuré avec juste ce qu’il faut de tannin. C’est superbe, grandiose. 96/100 ; 5 + (le lendemain, le vin a pris encore plus de volume… excellent, réellement).

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L’Infidèle 2006

D’emblée, on note une certaine fermeture aromatique, mais rien à voir avec le 2004 que j’ai déjà goûté avant le carafage. Ici, c’est plus ferme que fermé. Le fruit noir, avec encore cassis (que j’ai retrouvé sur presque tous les vins), myrtille, est présent, mais comme au coucher du soleil en forêt… c’est très sombre. En bouche les tannins sont pour la première fois réellement présents. Ce sont des tannins étendus, gros et ronds. L’impression pour moi est de douceur malgré tout. Une douceur très différente de 2008, pas du tout facile. C’est un vin qui vous aggripe et vous tient comme une main gigantesque, amicale mais un peu maladroite… ce charme est difficile à comprendre : les tannins sont vraiment dominants et dérangeront les palais qui n’y sont pas habitués. Le fruit noir revient en finale, la longueur est bonne. J’aime ce vin, toujours aussi austère. Il m’évoque une abbaye cistercienne, avec sa beauté rigide et pure, qui nécessite une certaine sensibilité pour la comprendre. Mon avis est qu’il ira très loin. Par contre, c’est encore difficile en ce moment. 84/100 ; 10 + (le lendemain, le fruit s’est nettement révélé, ce vin aurait dû être carafé).

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L’Infidèle 2005

Indiscutablement, le nez de ce vin est sublime. Tout en finesse, une sorte de 2007 plus délicat. Complexité, équilibre. Le humer est jouissif, il dévoile à chaque passage une nouvelle nuance. La bouche est d’une fluidité incroyable. Quelle élégance ! En finale, on reste sur la fraîcheur d’une touche de groseille. La matière est légère, pas du tout la densité de 2007 ou 2010. A adapter soigneusement au plat pour en tirer toute la substance. La bouche est pour moi un peu en retrait ce qui fait que je ne passerai pas la barre de 90. Il a encore du temps devant lui, mais je ne le vois pas vraiment pouvoir encore gagner, sauf à retrouver un peu de sous-bois en bouche… 87/100 ; 0 0.

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L’Infidèle 2004

Celui-ci est réellement fermé et goûte jeune bien que ce soit plus une jeunesse aromatique qu’une jeunesse de structure. Un peu d’épice douces, un peu de poivre. Un (tout) peu de fruit. La bouche est très nette, très fraîche, sur la groseille. La finale est bonne, tant en longueur qu’en plaisir. Après comparaison, c’est un peu moins structuré que 2005. Je l’ai déjà mieux goûté. Il est possible qu’il se soit un peu fermé, il venait d’être transporté. 78/100 ; 5 +.

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L’Infidèle 2003

Attention changement de registre (c’est le millésime de transition, d’ailleurs, le passage de flambeau entre Jean-Pierre Jullien et Vincent Goumard). Un note nouvelle apparaît, qui sera magnifiée dans 2001 et 2000. La note viandée, giboyeuse si typique du Mas Cal Demoura de Jean-Pierre Jullien. Ici, le gibier/tannerie le dispute au fruit noir. Comme si l’on pouvait clairement identifier les quatre mains qui ont contribué à l’accouchement de ce vin. C’est tout à fait fascinant. En terme de plaisir, c’est un nez plus ou moins avenant selon les goûts de chacun, même s’il ne présente aucun défaut objectif. La bouche est dans le même registre avec plus d’expressivité que les trois vins précédents. Ce vin divise et divisera. Dans le groupe qui participait à cette dégustation, perrsonne n’adore mais certains détestent. Avec un accord approprié, ce vin brillera, par exemple et justement sur du gibier. Il est expressif et bien construit. Sans doute à ne plus attendre, il semble avoir un peu baissé « dans l’absolu » par rapport à ma dernière expérience (ce qui ne signifie pas que le vin sera mauvais, mais qu’il va demander plus d’attention quant à l’accord mets-vins pour le mettre en valeur). 76/100 ; 0 0.

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L’Infidèle 2001

Là, on retrouve JPJ dans toute sa splendeur. Si je puis me permettre l’expression, c’est un vin qui a des couilles et le torse velu. Tout ce que j’aime dans ce style. Le nez est très nettement dominé par la viande, le cuir. Ici le fruit est complètement secondaire même s’il participe de l’équilibre. On a aussi le sous-bois et le poivre… Vraiment très dense et tout en puissance. La bouche est du même acabit, ronde et large. Equilibre d’un tout autre genre que ceux de Vincent. Mais équilibre quand même. Le vin déroule sa puissance jusqu’en fin de palais puis laisse en finale une aromatique de quatre épices marocaines. la longueur est un peu en retrait par rapport à 2007 (exemple du genre). Ce vin peut encore vieillir car il n’évolue pas réellement dans un registre tertiaire. 93/100 ; 0 0.

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L’Infidèle 2000

Ouvrez les portes du paradis. Ce vin a dépassé son apogée et se trouve au crépuscule de sa vie. Le nez est encore sympathique, éthéré. Cette fois, il tertiarise nettement. La bouche est par contre comme décharnée, acide, très tertiaire en rétro-olfaction. Poireau en finale. On dirait qu’il a 5 ans de plus que 2001… c’était ma dernière bouteille et c’était trop tard. Il y a deux ans, le vin goûtait encore bien (sans que ce soit extraordinaire). 44/100 ; 0 –.

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Mas Cal Demoura 1998

Enfin nous terminons avec un finish d’anthologie. Le vigneron, la vigne, le vin, tous à la fois touchés par la grâce. Ce vin est absolument sublime et atemporel (il n’apas bougé, voire est encore meilleur qu’il y a deux ans, car développant plus de fruit). Le nez est extrêmement profond, complexe, expressif, ample… Comme les chambres du Château de Versailles. Velours, cramoisi, dorure…  ou pour revenir aux arômes, tous les registres sont là, avec une dominante de fruit, mais aussi cacao, le fumé, légère touche de gibier, tout à fait positive cette fois car participant de la complexité… Grand. La bouche est au diapason. Avec une longueur hallucinante. Il rentre dans les cases de l’archétype du vin parfait. C’est un très grand vin. 100/100 ; 0 0.

Isabelle Goumard

Isabelle Goumard

Une série superbe. 1998, 2007 et 2010 sont trois vin d’un niveau superlatif. Pourtant habitué à goûter ce domaine, l’ensemble des vins a dépassé mes attentes.

Cette fois-ci, n’ayant pas de matériel photographique personnel, toutes les photographies sont issues du site du Mas Cal Demoura.

L’Infidèle 2004 by Mas Cal Demoura (France, Languedoc)


L’Infidèle 2004 du Mas Cal Demoura provient plus précisément de la zone identifiée désormais sous le nom Terrasses du Larzac. Cette sous-zone de la récente appellation Languedoc (Coteaux du Languedoc rebadgés assez inutilement par ailleurs) est une vraie réussite. C’est un terroir que je vous recommande d’explorer car ses caractéristiques sont particulièrement intéressantes. En effet, ce qui le distingue est sa fraîcheur et son élégance. Nous trouvons rarement ici de bombes aromatiques ou de vins massifs. Ce sont plutôt des vins délicats, présentant toujours une très belle acidité. D’un point de vue accord mets-vins, ce sont des vins qui peuvent tout à fait se substituer à des vins du Rhône septentrional ou de Bordeaux.

Je me demande quand même pourquoi ce terroir n’est pas carrément identifié par son AOP propre, plutôt qu’une sous-section d’un grand ensemble complètement bâtard. En l’état, c’est un peu comme si on avait une AOP Bourgogne (allant jusqu’au Beaujolais) et qu’en son sein on identifiait « Bourogogne-Gevrey-Chambertin ». Je vous rappelle d’ailleurs à toutes fins utiles que cette brillante AOP Languedoc inclus le… Roussillon… ce qui est rigoureusement absurde du point de vue du style des vins. On a donc fait d’une appellation déjà un peu vaste (Coteaux) une appellation fourre tout, principalement destinée au négoce et aux coopératives. Aucune préoccupation qualitative, donc, dans ce choix purement politique. Mais l’adage est vérifié sur un point « d’un mal peut naître un bien », puisque c’est ainsi qu’on été identifiées les Terrasses du Larzac (et quelques autres).

Petite revue aujourd’hui de ce vin un peu spécial, dans un millésime qui goûte plutôt bien en ce moment, et ce, dans pas mal de régions comme en particulier à Bordeaux.

L’Infidèle 2004 est en fait le premier millésime réalisé en solo par Vincent Goumard. 2003, année de la reprise de l’exploitation de Jean-Pierre Jullien avait été au contraire réalisé en tandem… ce qui au vu de la difficulté de ce dernier était sans aucun doute un heureux concours de circonstance. A ce sujet, on remarquera d’ailleurs que Vincent et Isabelle ont été bénis lors de la transition avec une série de très bons millésimes et même quelques uns des meilleurs jamais produits (2005, 2007…). L’Infidèle 2004 est indéniablement arrivé à maturité. C’est l’occasion de vous parler un peu de ce qu’est la maturité, je le ferai dans un prochain billet. Le nez est très beau. Fondu, très difficile à décrire. Aucun arôme ne passe au dessus de l’autre : c’est fumé, fruité, racé. On retrouve les herbes aromatique et des odeurs légères de bois ciré. Sa structure est bonne sans être grandiose. En bouche, l’homogénéité du vin est encore plus évidente. On ne ressent pas la moindre aspérité. Les tannins sont ronds, doux ; le fruit, noir (myrtille, cassis), est frais. Les autres dominantes au nez se retrouvent en arrière plan. La finale est sur la fraîcheur et une touche de fruit rouge (groseille). Un ensemble très beau, serein : un beau vin. Aucune déviance tertiaire n’est à déplorer, je pense que ce vin a encore quelques années devant lui.

Avis Wineops : 85/100 ; 0 0

L’Infidèle 2004 by Mas Cal Demoura

Daumas Gassac Rouge 2003 by Mas de Daumas Gassac (France, Languedoc)


Certains vins font partie d’une catégorie bien particulière, celle des vins qui font polémique. Nombre de ses représentants se trouvent dans les vignobles prestigieux mais celui qui nous occupe aujourd’hui se trouve dans un vignoble plus modeste, en Languedoc.

Le Mas Daumas Gassac est sans doute un des vins les plus connus de la région, principalement du fait de la personnalité hors norme de son fondateur. Aimé Guibert, c’est son nom, a été en particulier porté à l’écran dans toute la démesure de sa verve par le récent film Mondovino. Personnage haut en couleur, son discours est l’archétype de « l’ubris » (hybris en transcription correcte) que redoutaient tant les grecs. C’est un homme de charme et de charisme, comme le vignoble en compte tant, dont on aimera ou détestera ce discours autant imagé et rhétorique que peu argumenté.

Son idée d’origine a été de penser pouvoir faire un grand vin en Languedoc, à l’image des Grands Crus de Bordeaux. L’histoire lui donna raison, du moins au départ. Il planta principalement du Cabernet Sauvignon, interdit à l’époque en AOC, qu’il compléta d’une collection de cépages aussi pittoresque qu’insignifiante (ajouter 20 cépages à hauteur de 1% chacun n’a aucun sens). Il fut sans doute l’un des premiers à ouvrir la voie des Vin de Pays « Haute Couture » en Languedoc, un segment qui depuis connaît un développement très important. Il faut savoir qu’à l’heure actuelle, nombre domaines de référence produisent tout ou partie (principalement les blancs) hors du système d’AOC.

La remise en question du statut iconique de ce vin naît  dans le courant des années 1990 et surtout avec les années 2000. Daumas Gassac, alors toujours porté aux nues par la critique, ne semble plus aussi magique en dégustation. D’aucuns avancèrent l’habituel argument du vieillissement : il n’est pas possible de juger Daumas, grand vin de garde, dans sa jeunesse. Nous avons le recul maintenant sur les années 1990. Les vins ne se sont pour la plupart pas révélés. C’est avec émotion que je me rappelle les 1985, 1988, 1992 (blanc)… et quand je goûte en rouge les déjà agonisants 2002, les 2004 plats, les 2007 déviés, le doute n’est pas permis. En blanc la problématique est autre, on se trouve surtout face à des vins désarmants de simplicité. Aux dernières dégustations, 2008 est correct, variétal et de fait, d’un rapport qualité prix désastreux. 2007 insignifiant quand 2006 présente déjà un profil de vin oxydé (noix, orange amère, cire).

A l’époque des débuts et des années 1980, Mas Daumas Gassac Rouge, c’était 10 000 à 20 000 bouteilles, la première mise du blanc, 2 000 bouteilles en 1986. Maintenant, le Rouge est annoncé à 140 000 bouteilles par millésime et le Blanc à 50 000. Impossible de s’empêcher de penser que l’on tient là une des raisons de la baisse qualitative. Une autre étant sans doute la retraite progressive de Aimé Guibert et finalement le début des activités connexes de négoce.

Contemplant cette débâcle, c’est toujours avec une attention redoublée et avec l’esprit le plus ouvert possible que j’essaye d’aborder les flacons de ce domaine. Cette semaine, j’ai décidé de regoûter un Mas de Daumas Gassac Rouge 2003, en compagnie de palais neutres et profanes, pour voir où en était ce millésime sur lequel je n’avais pas de référence. A priori, 2003 est un millésime de bonne qualité en Languedoc, beaucoup moins marqué par la canicule que dans les autres régions de France (habitués qu’ils sont à la chaleur et la sécheresse). Les 2003 languedociens goûtent d’ailleurs globalement très bien en ce moment. Ils sont souvent bien ouverts, encore sur le fruit mais avec un début d’évolution… pratiquement parfaits pour une dégustation hédoniste.

Daumas Gassac Rouge 2003 n’est absolument pas marqué par la chaleur du millésime. Dès l’ouverture, il présente un profil aromatique équilibré. Les fruits noirs mûrs (comme le cassis) sont enveloppés d’une belle trame torréfiée (plutôt chocolat avec une touche de café), signe d’un élevage bien dosé et bien intégré. Il fait par ailleurs preuve de profondeur et de structure. C’est un nez qui vous tient, solide et relativement complexe. En bouche, l’équilibre est indéniable, avec de nouveau un beau fruit, fondu, et un tout début d’évolution avec l’apparition d’arômes plus sous bois, humus. Il manque un tout petit peu de matière. La longueur est bonne, intense et moyennement persistante. Le Cabernet Sauvignon est pour moi flagrant (un peu trop) dans ce verre et je trouve que ce vin serait à comparer à des Bordeaux, en aveugle. Dégusté dès l’ouverture, c’est là qu’il s’est le mieux présenté, l’oxygénation ne lui a rien apporté de bon. Vin de gastronomie, il ne convient pas à une dégustation plaisir de fin d’après-midi et bénéficiera sans doute de deux ou trois ans de cave supplémentaire pour affiner ses parfums.

Un beau vin, donc, ce qui est un grand plaisir et une bonne surprise. Grand, sans doute pas, car il lui manque quand même un peu d’étoffe et de complexité. Il y a dans cette bouteille une indéniable architecture mais elle reste fonctionnelle et simple. Ce serait un vin intéressant à 15-20€, hélas, il en coûtait déjà 35 départ cave.

Ma note : 81/100 ; 5 +

Un beau vin, plombé par son prix trop élevé. A conserver encore 2-3 ans et à ne carafer sous aucun prétexte. Il accompagnera de plats moyennement puissants, comme le porc ou, pourquoi pas, certaines volailles. Sans doute à l’aise sur le boeuf, il faudra prêter attention à ne pas l’écraser sous des sauces ou des viandes trop parfumées.

L’Infidèle 2007 by Mas Cal Demoura


Depuis sa sortie et sa dégustation à ce moment là, c’est un vin que je veux revisiter, tant l’impression avait été bonne, dès le début, extrêmement bonne. L’Infidèle 2007 a donc fait l’objet d’une dégustation (après une tentative avortée). Le résultat est à la hauteur du souvenir, avec peut-être un chichouia de fruit en moins et une once de matière en plus.

Le Mas Cal Demoura, je le rappelle, produit trois vins rouges, tous bien Languedoc et sans défaut de finesse et de fraîcheur. L’Infidèle est un vin très complet, qui ne fait pas du tout entrée de gamme : équilibre, fraîcheur, souvent accessible avant les deux autres. C’est un assemblage de Grenache, Mourvèdre, Syrah, Cinsault et Carignan. Les Combariolles sont une sélection parcellaire de Grenache, Syrah, Mourvèdre sur cailloutis calcaires. Un vin plus extrait, plus dense, notamment au niveau de la trame tannique, qu’il faut attendre quelques année de plus que l’Infidèle. Enfin, depuis 2006, le domaine produit une confidentielle cuvée Feu Sacré. Elle n’est produite que si le millésime est favorable, à hauteur de 1200 bouteilles. C’est une parcelle de vieux Grenache dont le vin est ouillé avec l’Infidèle. Le résultat rappelle le Rhône Sud tout en gardant une forte personnalité languedocienne. Une vraie réussite, à découvrir.

Depuis la reprise totale du domaine en 2004 (le millésime 2003 a été fait en collaboration avec Jean-Pierre Jullien), Vincent Goumard, parti déjà d’un très bon niveau, progresse sans cesse. En 2007 un saut qualitatif évident a été accompli avec un gain non plus dans la concentration et le fruit mais sur la fraîcheur et la finesse. Ce millésime consacre le passage (confirmé en 2008) d’un très bon vin à un des meilleurs du Languedoc. Pour ne rien gâcher, les tarifs du domaine sont extrêmement raisonnables au vu du travail consenti.

L’Infidèle 2007 est à mes yeux un vin exceptionnel, du type de ceux qui manquent en France et singulièrement dans le sud. C’est un vin indiscutablement féminin, d’une grande souplesse et d’une finesse de tannins incroyable. Tout en ayant une belle matière et les arguments pour vieillir une dizaine d’année, il est d’une accessibilité remarquable dès maintenant. Les arômes un peu giboyeux typiques du domaine sont là, en arrière plan, mais ne dominent pas les débats : ils apportent au contraire la complexité et la profondeur au vin. La fraîcheur de la bouche n’est pas ici synonyme de maigreur mais bien d’un vin du sud, riche, généreux. Le fruit rouge, la cerise et une pointe de réglisse donnent le ton général du tableau. En finale, toujours cette fraîcheur et le fruit frais, pas confituré, accompagnent joliment les mets. Vin de viande fine (pas de gibier pour lui), vin que j’aime et qui, je pense, sera vraiment parfait dans deux ans. A consommer sans modération d’ici là autant qu’après !

Ma note : 87/100 , 5 ++

Noël, ses émotions et ses surprises


Noël (et Nouvel An) sont des occasions de sortie de vins un peu exceptionnels. Soit qu’ils soient de grands flacons, en compagnie les appréciant, soit qu’ils soient de petits vins si la compagnie n’aime pas. Dans tous les cas, c’est un exercice à figures imposées : les plats et les invités sont en général définis à l’avance.

Au rang des probables plats, huîtres, saumon fumé, foie gras, volaille, marrons, bûche… des mets plutôt pénibles à assortir. Quant aux vins, en France, difficile de passer outre le(s) Champagne(s), Sauternes et plus généralement Bordeaux ou autres Bourgognes. C’est l’occasion classique par excellence.

Dans mon cas, les fêtes de fin d’années se sont révélées pleines de surprises et de fraîcheur. D’abord, il ne fut pas question de Champagne (ou presque), ce qui est pour moi une grande joie, cette figure imposée privant souvent d’un autre vin plus intéressant. J’ai donc pu proposer à mes convives une vingtaine de vins dont aucun n’a réellement déçu.

Il est ressorti en tête de ces agapes :

1° Les Culs de Beaujeu Cuvée Spéciale 1996 by François Cotat, France, Sancerre

Toujours au sommet, ce vigneron domine presque systématiquement les débats, avec des vins hauts en couleur. Ce dernier ne manque pas à l’appel. Avec une pointe de sucres résiduels qui signe un style très fruité, ce vin est caractérisé par des arômes de truffe blanche exceptionnels. Il est gorgé de fruit, d’une fraîcheur exquise et d’une jeunesse insolente. C’est un futur vin exceptionnel qui demande encore au bas mot 10 ans de cave (il a passé plus de 6 heures en décanteur sans évoluer d’un cil).

Ma note : 94/100 ; 10 ++

Ürziger Würzgarten Auslese * 1997 by Weingut Karl Erbes, Allemagne, Mosel (Ürzig)

Un an plus jeune et même constat, ce vin que j’ai ouvert par deux fois, est à attendre une dizaine d’année et ne bouge pas sur quatre jours. Un breuvage délicieux est issu du Riesling, moelleux mais équilibré par une acidité superbe, fin, complet. Son nez d’ananas est relevé par des nuances terpéniques que je trouve plutôt classiques de ce terroir et élégantes pourront toutefois choquer ou déplaire aux palais qui ne les apprécient pas. La bouche très nettement ananas à l’ouverture s’enrichit de mangue, de poire et autres fruits. Pour le moment l’évolution est vraiment contenue.

Ma note : 92/100 ; 10 ++

Loupiac 1982 by Château Dauphiné Rondillon, France, Bordeaux

Cette bouteille aurait pu tenir encore plusieurs années, sans que je pense elle ne devienne franchement meilleure. Ce qui m’a particulièrement plu est sa note végétale (typique d’un vieux Sauvignon) et naturellement, l’intégration de ses sucres. C’est un vin sage, subtil. Son âge lui donne une grâce incroyable. L’émotion qu’il apporte est bien celle des vieux vins, mûrs, dont même les défauts se font accepter. Très belle expérience.

Ma note : 91/100 ; 5 0

Grüner Veltliner Spiegel Reserve 2006 by Weingut Sonnhof Jurtschitsch, Autriche, Kamptal

Ce dernier commence évolue très lentement mais développe déjà une richesse, une générosité d’arômes rare. Pourtant marqué par une acidité assez faible (caractéristique des Grüner Veltliner du millésime 2006 du domaine), ce défaut ne s’accentue pas avec le temps et l’ampleur que cela lui confère en font un vin idéal pour accompagner viandes blanches et fromages.

Ma note : 91/100 ; 5 +

Voilà donc pour ceux qui ont marqué les festivités, un peu plus que les autres. Un des traits de ces dégustations est le niveau moyen très élevé des vins, avec pour pires flacons, une Cuvée Fréderic Emile 2002 de Trimbach (Alsace, que je reverrai dans 5 ans) ou encore un Henriot Millésimé 2000 encore beaucoup trop jeune. Deux vins que je note tout de même autour de 75/100.

Les autres que je retiens et sur lesquels je reviendrais plus tard :

L’Infidèle 2007 by Mas Cal Demoura (France, Languedoc)

Cuvée Spätlese 2005 by Weingut Nekowitsch (Autriche, Burgenland)

Chardonnay 2006 by Weingut Nekowitsch (Autriche, Burgenland)

Jadis 2002 by Henri Bourgeois (France, Sancerre)

Grüner Veltliner Rosshimmel 2006 by Weingut Alois Zimmermann (Autriche, Kremstal)

Charmes-Chambertin 1998 by Domaine Arlaud (France, Bourgogne)

En conclusion de ce premier billet de la nouvelle année, je vous dirais que rien ne vaut de sortir des grandes appellations ou des grands noms, ce qui compte est de trouver un vigneron sérieux et intelligent. Parmi les vins cités, ceux qui ont fait la plus mauvaise impression sont les Bourgognes et le Champagne. En ce début d’année 2011, je vous le dis donc bien fort, des grands vins existent à tous les prix, il faut juste savoir chercher au bon endroit !

L’Etincelle 2006 by Mas Cal Demoura


L’Etincelle du Mas Cal Demoura est-il un vin parfait ? Je ne pense pas. Est-il un vin d’émotion ? Oui, certainement. Et est-il bon ? Assurément. Vous aurez compris que je vais un peu déborder du cadre de la dégustation, aujourd’hui. Mais chose première, le vin !

Nous sommes donc sur le millésime 2006. Ce qui me frappe, c’est d’abord la fraîcheur. Pas de trace d’oxydation, comme souvent les vins blancs du sud développent rapidement. Fraîcheur de vallée de la Loire, indéniablement, le vin rappelle à moi les cave de tuffeau de Vouvray. Et en même temps les fleurs du sud et les paysages plus chauds. La magie de l’assemblage est palpable. Une pointe de réglisse et de sauge vient agrémenter le tout. Un nez en somme très joli et très fin. La bouche est plus stricte, tendue par une bonne acidité et surtout une belle amertume. Le vin rempli bien le palais, livre même quelques notes grillées. Une pointe de muscat et on retrouve cette très légère touche de réglisse. Bon finish qui appelle une autre gorgée.

L’Etincelle 2006 est un assemblage de Chenin (dominant), Muscat, Viognier, Roussanne et Grenache blanc. En 2008, il commence à incorporer du Petit Manseng.

C’est un joli vin, un vin qui me plaît toujours autant. Je lui donne : 76/100 ; 5 +

L’Etincelle porte bien son nom en 2006, beaucoup plus vive que 2005 (qui entre aussi dans une nouvelle phase d’évolution). C’est un vin de poisson grillé, en sauce vierge. Un vin de fraîcheur légère.

Mais pour moi, l’Etincelle, c’est tout ça et c’est plus que ça. Ce vin, je le connais, je l’ai dégusté souvent, sur la terrasse du mas, en parlant avec Isabelle et Vincent, au cours de nombreux repas ; c’était aussi le vin de mon mariage : c’est un vin rempli de souvenir. Je le connais, il me connais, son équilibre et son toucher en bouche m’est familier. Objectivement il vaut peut-être 76, mais dans mon coeur et par ses évocations, il dépasse des vins meilleurs. Rappelez-vous la synesthésie, chère à Baudelaire : le vin en est un puissant vecteur et ce serait dommage de l’oublier.