carafage

Plaidoyer pour des dégustations de vins prêts à boire !


La viticulture a beaucoup changé en 10 ans mais plus encore que la viticulture, le consommateur a changé.

On nous parle souvent des nouveaux pays consommateurs de vin, où les gens n’ont pas de cave et ne stockent pas. L’ordre d’idée de conservation d’une bouteille en Australie est 20 minutes, au USA, c’est 2h… Certes, ce n’est pas encore le cas en France (pas à ce niveau, on compte encore plutôt en semaines ou mois), mais les temps où l’on attendait sagement 10 ou 20 ans ses vins en cave avant de les boire est révolu. Toutefois, il naît peu à peu un paradoxe. L’amateur (jeune) de vin sait de mieux en mieux que le vin n’est pas prêt à boire mais il le boit quand même ! Il le boit et très souvent il est déçu mais n’a pas les référentiels pour comprendre pourquoi… et, joie des forums, chacun veut faire l’expérience lui-même. Ce n’est pas négatif en soit, mais le but du forum est de mettre en commun, pas de se faire mousser en faisant une liste des vins qu’on a pu trouver/se payer. Il faut reconnaître qu’il y a un côté vraiment exaspérant quand on lit 50 fois de suite que tel vin n’est pas bon… alors émerge l’envie de hurler : « C’est normal, puisqu’on vous dit de ne pas le boire maintenant ! Bor-el ». Alors je me demande, quel intérêt de sacrifier 100 bouteilles d’un vin pour confirmer l’évidence qu’un vin est fermé. Faillite des prescripteurs d’opinion comme on dit maintenant, c’est indéniable !

Beaucoup de raisons mènent cependant à ce paradoxe. Outre ce besoin compulsif d’expérience personnelle (qui n’a en fait pas un coefficient de vérité supérieur, a priori), c’est certain qu’il y a la frustration de ne pas avoir de vin mûr à boire dans sa cave car il faut bien boire quelque chose, il y a aussi le désir de goûter ce que l’on vient de découvrir car les dernières bouteilles sont toujours les plus attirantes… mais vous n’obtiendrez jamais le vrai plaisir d’une bouteille si vous ne lui donnez pas les moyens de s’exprimer, et donc, du temps.

Que faire alors pour avoir des vins prêt à boire (en tout cas, pas fermés), il y a quatres aspects sur lesquels vous pouvez agir (qui sont finalement presque tous des histoires de temps) : l’âge, le millésime, le type de vin et le service.

  • L’Âge

Evidence. Le premier aspect sur lequel jouer est l’âge même de la bouteille. Deux règles. Un vin goûte généralement bien quand il est jeune (entre 6 mois et deux ans après la mise). Puis il se referme et regoûtera bien après une période plus ou moins longue, mais généralement (90% des cas) il faut compter 4 à 6 ans. Ceci bien évidemment doit être affiné avant tout par rapport au cépage et par rapport au style du vin. Il faut aussi bien distinguer cette période de plaisir de dégustation de la période d’apogée. Cette dernière est beaucoup plus difficile à trouver, souvent on la découvre par hasard, en tout cas empiriquement, car cette dernière dépend de beaucoup de facteurs, en particulier de votre cave. Par exemple, un vin qui sera parfait chez un de mes amis après 5 ans de cave, aura besoin de 10-12 ans dans le mienne. Question d’humidité essentiellement, dans notre cas. La période de déclin est pour le coup beaucoup plus variable.

Comment peut-on savoir qu’un vin est ouvert ? Même s’il y a des « règles », il faut reconnaître que c’est vraiment l’expérience qui vous le dira. Par expérience, j’entends qu’il est difficile de décrire ces sensations tactiles et olfactives, il faut donc avoir le vin devant soi pour bien comprendre. En fonction de sa région, ses cépages, son millésime et son producteur, vous pourrez déterminer la fenêtre de dégustation (sans avoir vraiment besoin de goûter, on finit par avoir des idées suffisamment fiables). Au départ vous pouvez aussi vous référer à des personnes qui connaissent le vin en question et ont un avis pertinent. Si vous cherchez sur internet et en comparant de manière critique, vous finirez par trouver vos sources.

Exemples : un Pinot Noir a de manière schématique besoin de 10 ans pour se révéler. Pour les vins de ce cépage, je déconseille donc une dégustation avant 5 ans de cave, même pour les petits vins (mais on exclura évidemment les productions industrielle visant à être consommées sous deux ans). A l’heure actuelle, les 2000 en Bourgogne rouge goûtent bien, 2003 et 2004 quand ils sont réussis. 2005 est complètement fermé, de même que 2006 (plus accessibles quand même avec carafage). Les 2007 sont légers et se boivent encore. 2008 se referment doucement et surtout les 2009 sont jouissif. Un Riesling a aussi besoin de beaucoup de temps, en Mosel Allemande, ils goûtent bien jusque vers 3-5 ans après la vendange puis se referment et recommencent à s’ouvrir après 10 ans.

  • Le Millésime 

C’est le deuxième aspect sur lequel vous pouvez jouer. Le Millésime va livrer des vins de plus ou moins longue garde, plus ou moins agréables jeunes ou vieux. Les 2005 de Côte de Nuits sont réputés de très longue garde et sont donc des vins à éviter en ce moment et pour encore longtemps. Les vins rouges Languedociens de 2006 ont aussi très vite été durs et auront besoin de temps. Au contraire, les 2009 sont souvent plaisants en Bourgogne, 2010 également. Certains millésimes sont toujours bons… d’autres sont à attendre et d’autres ne le seront jamais. Il faut savoir par exemple en Bordeaux rouge que 2008 est un millésime qui sera bon à boire très vite (c’est même déjà ouvert) alors que 2009 et 2005 auront besoin de beaucoup de temps. 2007 sera rarement bon et demandera en tout cas du temps au meilleur des cas pour estomper la sous maturité et les 2004 sont excellents en ce moment.

Jouer sur le millésime est un choix essentiel pour tirer la bonne carte au bon moment. L’an dernier, par exemple, sur Mas Cal Demoura (Languedoc), je vous aurais dit : 2008 super, 2007 excellent, 2006 fermé, 2005 un peu moins fermé, 2004 très bien, 2003 presque trop vieux, 2002 fermé, 2001 fantastique… Cette année je vais vous dire : 2009 fermé, 2008 impeccable, 2007 fermé, 2006 fermé, 2005 toujours trop fermé… Millésime + âge donc, c’est évident, mais pour boire jeune, on peut donc choisir le millésime le plus accessible et qui n’est pas forcément le plus vieux. En général il vient que les « petits » millésimes sont plus vite accessibles et donc bons dans leur jeunesse… (s’ils ne sont pas raté, cela va de soi, pas comme Angélus 2007 par exemple !!). Un exemple parfait sont les vins de vallée du Rhône en 2008.

  • Le Type

Voici un critère essentiel et qui, enfin, n’a rien à voir avec le temps. Le type, le style de vin peut guider votre choix. Si le vin est construit pour durer, rien ne sert de vouloir le boire jeune. Souvent cependant, les domaines produisent des vins qui « permettent d’attendre ». Il est très intéressant par exemple d’en rentrer 10 à 30% de votre cave en attendant que les autres mûrissent. Evidemment, vous pourrez abaisser ce pourcentage quand votre cave sera déjà développée et que vous aurez des vins arrivant à maturité.

Exemple chez François Cotat, spécialiste des vins à garder 20 ans, une cuvée appelée Caillottes (des jeunes vignes), donne de vins généralement bons à boire dès 2-3 ans de cave. De même Etats d’Âme chez le Mas Jullien ou certains Village ou Premiers Crus dans les domaines Bourguignons…

Donc, plutôt que de massacrer un Bâtard Montrachet 2008, essayez un Meursault Village ou un Chassagne-Montrachet du même millésime. Certes le vin est moins prestigieux mais il y a fort à parier qu’il goûtera mieux.

Ensuite, il y a le style en soi du domaine. Certains produisent des vins plus ouverts, d’autres plus fermés. Mas Jullien, François Cotat, Château Rayas, Coche-Dury, Raveneau… font des vins qui demandent 10 ou 20 ans pour se révéler et qu’il ne sert à rien d’essayer d’ouvrir avant. Au contraire, La Nouvelle Don(n)e, Henri Bourgeois, Vieux Télegraphe, Mas Cal Demoura, Fontaine-Gagnard ou encore la Chablisienne, produisent des vins déjà ouverts dans leur jeunesse et que l’on peut apprécier presque dès leur sortie. Pour choisir le domaine approprié, il faut les connaître ou lire (et savoir lire), mais les informations sont faciles à trouver et exploitables (tout le monde sait que Coche-Dury fait des vins de longue garde, pas besoin de vérifier).

  • Le Service

Pour finir et c’est l’arme ultime : le service. L’art de la préparation du vin va vous permettre d’ajuster ce dernier afin d’en tirer la quintessence au moment de la dégustation. Avec une préparation idoine, vous pourrez avoir du plaisir à déguster l’essentiel de la production actuelle. Seuls quelques rares vins résisteront à toute tentative (millésimes très fermés, domaines ou styles de très grande garde…). La préparation consiste à choisir la bonne température de service et, surtout, la bonne aération.

Vos outils seront le temps et la carafe. Ces deux moyens peuvent permettre d’ajuster le vin et d’en tirer un vrai plaisir. Plus tôt cette année, j’ai fait une très belle expérience relatée ici sur Beaucastel 2008.

Comment peut-on savoir ce qu’il faut faire ? C’est là en revanche un art difficile car seule votre expérience personnelle peut réellement vous guider, étant donné les variabilité propre à chaque bouteilles. Bien entendu, un expert connaissant votre vin peut vous guider objectivement. Il n’en reste pas moins que c’est votre appréciation du vin à l’ouverture qui doit vous guider… et sur ce sujet j’écrirais à nouveau un peu plus tard.

En conclusion, de grâce, n’ouvrez pas vos vins sans réfléchir… vous risqueriez d’être déçus alors qu’avec quelques heures d’attention vous auriez pu atteindre l’extase sur la même bouteille !

Du bon usage de la carafe : Château Beaucastel rouge 2008 (France, Châteauneuf-du-Pape)


J’ai eu la chance au court de la semaine dernière de déguster par deux fois un Château de Beaucastel rouge 2008. Le millésime 2008 peut être qualifié en Vallée du Rhône de millésime mineur, avec des variations importantes entre le Nord, très mauvais en Côte Rôtie et le Sud, où il est réussi dans les Costières de Nîmes par exemple. En moyenne, on se trouve devant des vins plutôt légers avec un joli fruit et des tannins peu marqués (avec le risque de la sous-maturité et de la dilution quand le vigneron ne s’en est pas sorti). Si vous êtes en face d’un domaine de qualité, 2008 a de forte chances d’être un vin accessible plus vite, qui n’aura pas le potentiel de vieillissement d’un grand mais devrait vous permettre de bien goûter le vin dès maintenant et sur 10 ans.

Beaucastel 2008 était un parfait objet d’expérimentation. Ce domaine fait preuve d’une régularité exemplaire et rare. Il produit des vins de longue garde, qui ne s’épanouissent véritablement qu’après 10 ou 20 ans, voire 30 pour les grandes années. En 2008 par exemple, j’avais goûté un 1989 parfait et à qui on aurait pu donner dix ans de moins compte tenu de son évolution.

Ce vin est l’exemple même du vin adapté à un passage en carafe prolongé.

A ce sujet, sachez que la carafe permet d’oxygéner le vin non seulement lorsqu’il s’y trouve mais aussi lorsqu’on le verse. Le simple passage en carafe a déjà un effet très important sur le vin. Ensuite, ce qui importera est la section de la carafe au niveau qu’atteint le vin. Si l’on considère une carafe à décanter normale, d’un diamètre de 14-15cm, la surface de contact avec l’air est donc d’environ 150 cm2, si j’ouvre une bouteille et la laisse ouverte, la surface de contact sera d’environ 5 cm2. On a donc une surface d’échange trente fois supérieure en carafe. Mettons que l’on retire un verre pour goûter le vin et l’on se retrouve avec une différence de l’ordre d’un facteur 10.

En terme de surfaces d’échanges, on conviendra qu’un carafage d’une heure équivaut à 10 heures d’ouverture en bouteille « épaulée », soit une bouteille dont on a retiré un verre de vin ; ou encore 30 heures d’une bouteille simplement débouchée. Une première remarque consiste à dire qu’ouvrir une bouteille quelques heures avant le repas, sans aucune opération à la suite n’aura pratiquement aucun impact sur le vin. La seconde remarque est que ces possibilités vous permettent d’avoir une grande flexibilités quant à l’effet recherché, une fois que vous aurez ouvert le vin.

Dans tous les cas, préférez toujours, si vous prévoyez un long carafage, une très longue ouverture sans carafe. A cela une raison, l’opération est moins traumatisante pour le vin et vous aurez presque toujours un meilleur résultat. Ensuite, prenez en compte que le carafage a un effet immédiat très important. Autant vous pourrez laisser deux ou trois heures de plus un vin simplement ouvert en bouteille, autant une heure de carafe peut avoir un effet désastreux. La carafe est donc un outil à manier avec précaution, surtout si vous comptez que le service lui-même s’étale souvent sur une demie-heure à une heure.

En règle générale, un vin qui doit être carafé (raisonnablement) n’a besoin que de une demie-heure à une heure et demie en carafe. Rare sont les vins nécessitant et bénéficiant de carafage longs (supérieurs à 3h) car il vont souvent s’effondrer avant de s’ouvrir. En tout cas, pensez bien que 30 à 45 minute auront déjà un effet très important. Il est difficile d’apprécier sans expérience si un vin va bénéficier du carafage (il y a l’aspect ouverture/fermeture aromatique, la qualité des tannins, une verdeur…). En règle générale cela convient aux vins européens, jeunes, de moyenne et longue garde. Il est en revanche, généralement, déconseillé sur les vins du nouveau monde. Ceci dit, c’est une règle générale qui souffre de nombreuses exceptions.

Ce Beaucastel 2008 a été dégusté la première fois avec une heure trente de carafe. Beaucastel et singulièrement les Châteauneuf-du-Pape sont des vins de longue, voire très longue, garde. Il est bien rare que le potentiel d’un vin ne s’affirme avant une dizaine d’années. 2008 est un millésime plus accessible du fait de sa moindre structure. Il n’en reste pas moins difficile. A l’ouverture, le vin n’est pas muet, mais presque. Après carafage, il va s’exprimer sur le fruit frais (groseille, framboise) et présente une très belle matière, soulignée par une acidité bien présente en bouche. Dans l’ensemble, c’est un très bon vin, qui ne trahit pas vraiment les limites du millésime. Il est assez souple et manifestement tiendra de nombreuses années en cave. Je le note 81/100 lors de cette première dégustation. La bouche en particulier manque un peu de tenue. Toutefois, il est clair au cours du repas que le vin s’améliore, relativement vite et qu’il est de toute façon plaisant. Ce même vin sera donc redégusté le lendemain mais avec une préparation idoine.

La seconde bouteille est dégustée vers 20h00 après avoir été décantée à midi. Huit heure de carafe. Voilà qui est un passage rare et particulièrement long en carafe. En ouverture « normale », cela correspondrait à plus ou moins 80h, soit un peu plus de trois jours. Cette énorme différence explique bien comment on peut goûter chez certains vignerons des vins ouverts une semaine plus tôt et qui goûtent très bien. Dès le passage au nez, la différence est patente. Le nez s’est ouvert. Il est beaucoup plus complexe, expressif, avec du fruit mûr et des notes de bois ciré très plaisantes. Vraiment splendide. La bouche s’est métamorphosée. Elégance, souplesse, harmonie. Pas de trace de cette acidité un peu trop présente, pas de petit fruit rouge trop simple. Ce vin est ample, s’installe en palais. Pour la précision, je le note ce soir là 89/100.

Le gain sur ce vin est flagrant. Je pense que certains se demandent à ce point si le carafage permet de faire vieillir plus vite le vin ou du moins, s’il permet de boire un vin jeune sans attendre. A cela, pas de réponse simple sinon que non, le carafage ne fait pas vieillir plus vite, il permet surtout de permettre une oxygénation rapide du vin (entre autre) qui va donc « forcer » certaines transformations. Cela va se concrétiser dans la possibilité de prendre du plaisir sur un vin trop jeune. Mais en tout cas, cette pratique ne se substitue pas au vieillissement. Par exemple, si efficace ait été ce carafage de Beaucastel 2008, je peux vous assurer que le vin sera encore supérieur (surtout du point de vue de la complexité) quand les ans auront passés. C’est en revanche un outil utile quand vous n’avez pas le choix du millésime (restaurant ou début de construction de cave, par exemple) et dans un cas particulier, c’est très efficace : dans le cas de vins « réduits ». Par ailleurs, il est difficile d’être assuré à l’ouverture d’une bouteille que le vin est exactement à son apogée, le carafage peut permettre d’ajuster le vin. Nous parlons dans ce cas de carafage court, de 30 minutes à 1 heure.

Pour terminer, et bien que j’use souvent de cette technique, je vous livrerai cette conclusion : si vous devez réaliser un long carafage, c’est que le vin n’est pas prêt à être bu. Dans l’absolu, seul un court carafage (et idéalement, aucun), peut se justifier pour débloquer un vin un peu trop jeune. Au cas contraire, c’est un pis aller. Vous pourrez certes vous faire plaisir, mais vous perdrez une partie du potentiel du vin.

Certes… mais il est toujours tellement excitant d’ouvrir les vins que l’on vient de découvrir nous-mêmes, pour les faire découvrir à d’autres. Un vrai cercle vicieux ! D’autant que dans le cas de mon exemple, je n’aurais aucun scrupule à renouveler l’opération.